45e du 103e

 

La vie écolière au temps du 103e cours

 

Texte composé et récité alternativement par Paul Morency et Yves-Marie Côté
lors du banquet des Retrouvailles 2009

 

 

INTRO : 

 

Récitation du chapelet par Yves-Marie, à la manière de Mgr Charles-Eugène Parent.

 

Paul...

 

Tout va pour le mieux au Québec. Personne ne remet en question les vérités évidentes et suprêmes de l'époque : le ciel est bleu et l'enfer est rouge. Diefenbaker trône à Ottawa et Duplessis à Québec. L'enfer rouge, c'est la Russie de Kroutchev et la Chine de Mao. Pour conjurer le Mal communiste, nous servons la messe en latin et la chantons en grec. C'est la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent qui éclaire nos lanternes. La télévision fait son entrée dans les foyers. En buvant du John Collins, du Kik et du Double Cola, nous regardons religieusement Rintintin, Kit Carson, la Boîte à Surprises ainsi que la famille Plouffe, car les ados fantasment déjà sur les charmes de Rita Toulouse. La Ligue nationale de hockey compte 6 équipes. Défenseur des Maple Leafs de Toronto, Tim Horton joue rudement bien.

 

Yves-Marie...

 

En septembre 1958, une véritable tornade secoue la quiétude du Petit Séminaire de Rimouski. Une bande de joyeux lurons, presque tous atteints du virus de la bougeotte continuelle, n'a pas fini d'étonner et, avouons-le aujourd'hui, de désespérer, à l'occasion, ses enseignants et ses maîtres de salle.

 

Grâce aux archives conservées par notre confrère Carol Amyot, nous avons pu retracer quelques événements qui ont marqué notre passage dans la vénérable institution.

ÉLÉMENTS-LATINS, septembre 1958 - juin 1959

6 septembre 1958, un élève écrit :

« Nous sommes au séminaire depuis hier. Papa est venu me reconduire. J'ai failli pleurer quand il est parti. La bâtisse est grande. Le pire, ça a été au dortoir. Pauvre maman, elle doit s'ennuyer ».

9 jours plus tard...

« Je suis devenu beaucoup plus raisonnable. Je ne m'ennuie plus du tout… »

 

Dans sa théorie sur l'évolution des espèces, Darwin n'avait jamais prévu que certaines créatures subiraient des transformations aussi rapides et s'adapteraient aussi facilement.

 

Selon les enquêtes de l'inspecteur C, 80 % des élèves en Éléments-Latins ne fument pas, alors qu'en Syntaxe et en Méthode, les fumeurs représentent 50 % et 63 % du groupe. La cigarette préférée, c'est la Du Maurier.

 

Les prénoms féminins favoris sont Ginette et Monique. Que tous ceux qui vivent aujourd'hui avec une Ginette ou une Monique se lèvent.

 

9 octobre 1958, toujours le même élève et son journal :

 

« Aujourd'hui, le Pape est mort.  J'ai prié pour lui.  Après Pie XII, est-ce qu'on aura encore la paix? »

 

SYNTAXE LATINE, septembre 1959 - juin 1960

 

Paul...

 

En septembre 1959, un dirigeable commandé par Jos-Marie Levasseur avec 20 élèves à bord s'amarre au 103e cours.  L'équipage de la Syntaxe spéciale n'a aucun complexe.  À l'animateur-vedette et humoriste de Radio-Canada, Miville Couture, nous opposons le nôtre, un fabuleux conteur, originaire de Val-Brillant.  On entend des sobriquets aussi étonnants que « Ti-Bur », « Tapin » ou « le Père ».

 

1er septembre 1959, la Belle Province pleure son premier ministre Maurice Duplessis, décédé lors d'un voyage sur la Côte-Nord.

 

Les autorités du Petit Séminaire inaugurent le pavillon de philosophie. Pour nous, les néophytes du Petitmangin, l'entrée dans le temple de Saint-Thomas-d'Aquin nous apparaît encore bien lointaine. Les coûts de construction sont de 1 M $.

 

La Vie Écolière de décembre 1959 reproduit le portrait d'un certain Gilles Vigneault tracé par l'un de ses confrères dix ans auparavant :

 

« On peut le voir souvent, seul au fond de la cour, le nez dans les nuages, les pieds dans d'énormes bottes qui, jadis, ont dû être neuves, et qui lui servent de lest pour le retenir à terre. Que brette-t-il là-bas? Il s'évade, il se met en état de grâce poétique. Sa muse s'empare de tout son être, le brûle, le consume tout entier. Les vers le rongent. Et surtout, à ces heures, ne le dérangez pas! Il est fêlé. »

 

Texte de notre Miville dans La Vie écolière : « Les élèves de Syntaxe, grâce à la collaboration et au génie de Bernard Desrosiers, ont réussi à créer un écusson qui a fait l'envie des plus vieux. »

 

Nouvelles sportives : Guy Turcotte perd en finale au ping-pong et Courcel D'Astous remporte le championnat de billard de la Petite salle.

 

MÉTHODE, septembre 1960 - juin 1961

 

Yves-Marie...

 

On raconte que durant son cours classique, chaque finissant aura monté, de ses vieilles jambes, 600 000 marches d'escalier; usé ses semelles sur 8 000 kilomètres de cour; mangé 20 000 tranches de pain; ingurgité de 100 à 200 livres de beurre d'arachides; bu 5 tonnes d'eau; mangé 700 000 fèves et 60 000 pieds de spaghetti et les fumeurs auront grillé 15 000 cigarettes.

 

Bien vite lassés par la gastronomie de la cafétéria, nous dévorons les livres. En Versification : Saint-Exupéry et René Bazin; en Méthode, Pierre l'Ermite et Guy de Maupassant; en Syntaxe : Jules Verne, Bob Morane et les Signes de Piste.

 

VERSIFICATION, septembre 1961 - juin 1962

 

Paul...

 

Pour la majorité, c'est l'entrée à la Grande salle. Même si nous devenons les petits derniers ou les bébés du groupe, nous sommes très fiers de ce changement. Par notre dynamisme et notre adresse, nous parvenons rapidement à nous faire remarquer par les classes qui nous précèdent.

 

La Soirée du hockey du samedi soir à la télévision entre officiellement au Séminaire. Nous invoquons la Sainte Flanelle.

 

BELLES-LETTRES, septembre 1962 - juin 1963

 

Carol Amyot, notre Charles Tisseyre du collège, nous apprend comment la stéréophonie, la télévision couleur, les matériaux synthétiques et les greffes allaient changer nos vies. Avec lui, nous partons à la conquête de l'espace et entrons orbite dans l'univers des sciences comme autant de Tit-Guy Laliberté.

 

Que dit-on sur le campus quant à nos relations avec les belles Ginette et Monique de ce monde?

 

« Les enseignements de l'Église sont formels et très clairs : un garçon qui ne peut entrevoir la possibilité d'un mariage avec la jeune fille qu'il fréquente s'expose à de graves dangers même s'il ne les recherche pas ».

 

Oui, à cette époque, l'Enfer était rouge.

 

RHÉTORIQUE, septembre 1963 - juin 1964

 

Yves-Marie...

 

Grâce à la plume du reporter Jacques Desrosiers, voici le récit d'une belle aventure, une excursion à l'île Saint- Barnabé.

 

« Mercredi le 22 janvier 1964, un groupe de rhétoriciens partent en direction de l'île St-Barnabé. Les moyens de locomotion : raquettes et skis. L'équipe, la voici. D'abord Germain, l'organisateur. Jean-Marc, chaussé de raquettes allant de pair avec ses pieds. Ti-Bur, qui, un peu plus, faisait la traversée à la nage. René, cantinier et cordonnier. Jean-Guy, qui au retour, portait ses raquettes à l'épaule. Jean-Yves et Raynald, jadis de grands skieurs. Alain et Michel, des explorateurs du type Vasco de Gama. Jean-Claude, Jean-Vianney, Miville, et deux trappeurs accomplis Richard et Albert. Et Louis-Jacques qui voulait rebaptiser l'île du nom de Saint-Barnabé du Ha ! Ha ! Ce fut une excursion pleine d'intérêt, sans risques et tous en revinrent frigorifiés, fatigués, mais contents. J'espère que cette initiative aura des répercussions. »

 

Quel visionnaire ce Germain! Aujourd'hui la ville de Rimouski a fait l'acquisition de l'île et l'a rendue accessible à tous.

 

Paul...

 

Le festival de théâtre bat son plein. Le Soldat Fanfaron brille de tous ses feux avec Normand Lévesque dans le rôle-titre. Notre Raymond Soucy porte la tunique et les sandales du confident. Le chroniqueur de théâtre souligne le grand talent de Raymond, mais lui conseille plus de retenue. La question qui tue : voulait-il lui voler la vedette?

 

Journaliste vraiment coopératif, Ghislain Paradis, notre Dany Dubé à nous, couvre les séries éliminatoires de la ligue interscolaire de hockey. Le Séminaire a vaincu le Pavillon technique, mais s'est incliné contre le Commerce en finale. Sa première étoile : Marc-André Dionne, grand protecteur de notre gardien Fernand, deuxième étoile. Troisième étoile : Réal Bellavance pour ses buts gagnants et mention spéciale à Gaétan Dubé pour son travail acharné et son esprit d'équipe.

 

Un après-midi de novembre, examen de version grecque. Nive Voisine, professeur d'histoire, agit comme surveillant. À la remise des copies, il annonce à la classe l'assassinat du président Kennedy. Comme la plupart, nous en perdons notre latin et notre grec.

 

PHILO I, septembre 1964 - juin 1965

 

Yves-Marie...

 

Une déferlante aux cheveux longs, venue de Liverpool, frappe l'Amérique. Dans une enquête portant sur la Beatlemania, un étudiant affirme très sérieusement que le phénomène durera quelques années seulement.

 

La musique classique ne jouit d'aucune popularité à la Grande salle. Rien ne résiste au yé-yé, pas même les appareils, les aiguilles et les haut-parleurs. Personne ne résiste non plus à Denis Tremblay et à ses Dynamiques qui font les beaux jours ou plutôt les belles soirées des salles de danse.

 

Jacques Desrosiers, le rédacteur en chef de La Vie écolière, fustige l'assemblée générale de l'A.G.E.S.R. : «  Je me demande si un groupe qui peine à accoucher de sa constitution se maîtrise assez pour se gérer efficacement ».

 

Dans la même veine, un autre pilier du journal, Claude Bouchard, se demande à quoi servent les Olympiques locales, si on laisse les athlètes sans entraînement ni compétition le reste du temps.

 

Aujourd'hui, moi, Yves-Marie, je peux répondre à ton interrogation : nous sommes au moins deux, Paul Beaulieu et moi-même, qui avons eu la piqûre pour l'athlétisme lors de ces Olympiques et nous avons passé plus de 25 ans à entraîner des jeunes. En passant : merci Claude pour tes nombreux articles de grande qualité dans notre journal.

 

Le Séminaire entre dans l'ère de la consommation de masse. Qui ne se souvient pas de ce slogan marketing : « Achetez les hockeys de la société Saint-Pierre, ils cassent avant de blesser ».

 

Paul...

 

La Jeune Chambre de Commerce de Rimouski lance un concours d'art oratoire, ayant pour thème « Pour ou Contre l'indépendance du Québec ». Aux dernières nouvelles, le concours se poursuit toujours.

 

Les Joyeux Écoliers, de Paul-Émile Paré, donnent plusieurs récitals à l'extérieur et passent à la télévision. Gilles Belzile, notre Josélito à nous, a depuis longtemps trouvé sa voix. Et quelle voix. Ah! si Star Académie avait existé.

 

Fierté à l'affiche : le concours national de cinéma amateur attribue à Louis Amiot et à Jean-Yves St-Pierre, la Fleur de Lys d'argent pour un film mettant en vedette Claire Simard et Robert Lévesque.

 

PHILO II, septembre 1965 - juin 1966

 

Yves-Marie...

 

1er avril 1966, à la une de la Vie Écolière, on lit : « Le Séminaire demeurera une institution privée ». Était-ce un poisson d'avril, quand on connaît la suite de l'histoire?

 

La troupe de théâtre de Louis Amyot présente la pièce « Au cœur de la rose » au tournoi d'art dramatique de Chicoutimi. Elle se mesure à des artistes de métier et frôle de peu les grands honneurs. Les bleuets et les gourganes l'ont échappé belle.

 

Les portiers du Séminaire cherchent en vain Paul Claudel, Marcel Proust, Jean-Paul Sartre et Jean-Jacques Rousseau, mystérieux destinataires de fréquents appels téléphoniques qui leur parviennent depuis un mois.

 

Paul...

 

Une nouvelle émission entre en ondes au poste CJBR : Fréquences 13. En rotation, les animateurs sont Jean-Yves Leblanc du Séminaire et Diane Vézina de l'École des infirmières, Denis Tremblay et Jocelyne Michaud du Collège des Ursulines. Nul ne saura jamais à quelle fréquence battaient les uns pour les autres les cœurs des animateurs et des animatrices.

 

Le 5 mai 1966, on décide que le célèbre congé du mercredi passera sous la guillotine. L'arrimage avec les services de transport de la commission scolaire nécessite ce changement. Une Révolution secouera bientôt l'ancien régime du cours classique.

 

Lancement d'un Club politique présidé par Jean-Guy Dionne, notre Démosthène à nous. Coïncidence, Daniel Johnson, chef de l'opposition, se pointe peu après au salon de philosophie et enfourche la Constitution, son cheval de bataille préféré. Selon La Vie Écolière, avec le vote à 18 ans, on ne pourra plus négliger la classe étudiante qui dans une élection peut faire toute la différence.

 

C'était sans doute prémonitoire. Le 5 juin 1966, l'Union nationale reprend le pouvoir. Le ciel redevient bleu.

 

Yves...

 

UN ÉDITORIAL DE LA VIE ÉCOLIÈRE : « LES GENS DE PASSION »

 

« Que nous le voulions ou non, nous avons tous été marqués par notre passage au Petit Séminaire de Rimouski. Le dynamisme d'un groupe de jeunes est la base essentielle de l'évolution d'une société. Mais que dire du rôle de ceux qui, année après année, ont su transmettre à des générations de jeunes leurs passions les plus diverses. Il est important de souligner que tous les enseignants que nous ne mentionnons pas sont aussi concernés par notre propos. La joie de vivre des Paul-Émile Paré, Claude Lebel, Joe Levasseur et Marcel Gauvin, la sensibilité poétique de Georges Beaulieu, l'amour de la musique, du grec et de la terre québécoise d'Antoine Perreault, l'utilisation du mot juste d'Euclide Ouellet, l'importance de nos racines de Noël Bélanger et de Nive Voisine, l'intensité scientifique de Yves-Marie Dionne, l'amour de la nature des André-Albert Deschamplain et Louis-Georges Lamontagne, sans oublier la rigueur philosophique de Pascal Parent, tous ces éléments nous auront, de diverses façons, touchés fondamentalement.

 

Transmettre le savoir est une science. Le faire avec passion est un art. Une capacité élevée à analyser les situations, un goût de l'engagement sans réserve dans ce que nous entreprenons et la foi dans notre capacité à réaliser nos rêves, voilà une partie des trésors que nos professeurs nous ont laissés.

 

Aujourd'hui, nous leur disons merci et… nous continuons à rêver ».

 

FINALE

 

Paul...

 

Certains de nos professeurs sont entrés dans l'Histoire car ils figurent dans Horace ou l'art de porter la redingote, de Bertrand B. Leblanc, un écrivain de Lac-au-Saumon.  Tous mériteraient leur portrait dans une suite qui pourrait s'appeler Curiace ou l'art de porter le blazer.

 

L'Odyssée du 103e cours mérite un Homère pour chanter ses exploits. Chers confrères, à vos crayons et à vos pupitres.

 

Merci à notre archiviste Carol et au comité organisateur. Bonne soirée.

 

Yves-Marie Côté et Paul Morency/15-08-09