«
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ?... »
Rutebeuf
- (XIIIe siècle)

Réflexions du
confrère Miville Couture sur la mort

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En
ces temps où les nouvelles, bonnes et
mauvaises, se bousculent, c'est important de
garder le contact avec les êtres chers.
Toutes ces années que nous avons passées
ensemble ne sont pas arrivées par hasard.
Elles avaient un sens et c'est en vieillissant
que nous le découvrons. Je rêve encore
souvent à mes amis du séminaire. Imagine !
Je
ne pense pas à la mort. Je fais de mon mieux
pour vivre l'instant présent et je sais que
la Providence saura bien s'occuper des détails
beaucoup mieux que moi quand mon heure sera
venue de passer l'arme à gauche.
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Janice
et moi revenons d'un voyage d'un mois en Inde.
J'ai revu des vieux amis et amies qui vieillissent
lentement mais en restant jeunes de cœur
et d'esprit. Quand je regarde le chemin parcouru
dans cette vie, je me sens béni d'avoir été
supporté et guidé par Mère Nature pendant
toutes ces années. Il m'est arrivé tellement de
choses agréables que je n'avais pas prévues.
En
mai 1976, deux de mes jeunes frères sont morts
d'hypothermie quand leur canot a chaviré sur le
lac Matapédia. À ce moment-là j'ai eu une belle
leçon de mon père. Même si son chagrin était
très grand, il m'a dit que c'était important de
s'occuper des vivants dans de telles
circonstances. Il y a beaucoup de façons de se
rapprocher des vivants auxquelles on ne pense pas
quand tout va bien. Je me souviens d'être allé
marcher avec un ami d'enfance qui était venu au
salon funéraire. Il m'a posé des questions sur
ce que je faisais à cette époque et il a écouté
attentivement mes réponses. Étrangement, il n'a
pas amené mon attention sur le décès de mes
jeunes frères.
Tout
ce qui reçoit de l'attention grandit. Quels sont
les aspects de nos vies que nous voulons voir
grandir ? Les Irlandais font une fête lors du
départ d'un des leurs. Un de mes voisins
irlandais qui a perdu son père il y a deux mois
m'a parlé de la fête que son père voulait avoir
après sa mort. En écoutant mon voisin raconter
cet événement "heureux", je me suis
dit qu'il était plus facile de mourir que de
naître. Quand on y pense, l'accouchement doit
être toute une aventure autant pour le bébé que
pour la mère. Il y a toujours un élément de
risque important dans l'accouchement.
Déjà
plusieurs de nos confrères sont partis changer de
vêtements. Oui, je suis convaincu que nous
continuons de mourir et de renaître jusqu'à ce
que nous ayons atteint la pleine réalisation du
Soi universel. Notre corps est un vêtement
transitoire qui nous permet d'évoluer. Sachant
cela, je veux aider tous mes parents et amis à
vivre ce moment de transition qu'est la mort des
êtres chers sans trop de peine et de désarroi.
Quelques jours avant la mort de Jean-Yves
Pelletier, j'étais allé le voir à l'hôpital.
Il souffrait beaucoup. Je lui ai parlé de façon
à ce qu'il voit sa mort comme un moment heureux, un
moment de libération après tous ces mois dans un
lit d'hôpital. Je lui ai dit qu'il n'avait rien
à craindre au sujet de l'au-delà car il avait
mené une vie au service de ses concitoyens.
Je lui ai dit d'avoir confiance en la
Providence grâce à laquelle il pourrait
renaître et continuer son évolution en faisant
ce qu'il aimait, incluant aller à la pêche. La
pêche était plus qu'un passe-temps pour lui.
Il était soulagé et serein. Il est parti
trois jours plus tard après avoir fait venir sa
famille et leur avoir dit qu'il partait en paix.
J'étais heureux d'avoir pu faire ça pour lui. Il
était mon cousin et je me sentais près de lui.
Je viens d'aller faire une promenade sur le
site du 103e. L'air y est frais et la brise est
revigorante. Oui, c'est bon d'y jeter un coup d'œil
de temps en temps. D'abord, un grand coup de
chapeau à Raymond pour ce travail exquis. J'ai
pris le temps de regarder une vingtaine de photos
de la mosaïque et les actualisations attachées
à chaque confrère. J'ai revu les photos des
dernières retrouvailles. Ça fait du bien !
Je suis en train de me demander si d'autres
confrères auraient eux aussi des réflexions à
partager. Nous vieillissons lentement et j'imagine
que tous les membres de ce beau groupe ont trouvé
sur le chemin de leur vie des perles et des
diamants de connaissance et d'expérience d'une
valeur inestimable. De tels trésors sont bien à
l'abri de l'éclatement des bulles financières.
C'est
le rôle de toute tradition de transmettre les
connaissances les plus précieuses pour inspirer
les générations suivantes et leur éviter
d'avoir à réinventer la roue. Si jusqu'à notre
dernier souffle nous conservons ce désir
d'inspirer nos semblables, ce sera plus facile
pour nous de partir l'âme en paix et d'aller
changer de vêtements tout bonnement afin de
poursuivre notre évolution.
Dans le passé, lorsque je quittais un pays
étranger où j'avais travaillé pendant quelque
temps, il m'est arrivé de prendre le temps de
réfléchir aux leçons que je venais d'apprendre
en ce pays et de coucher ça sur papier pour mieux
m'en rappeler. Il ne s'agissait pas d'écrire mes
mémoires, mais plutôt d'encapsuler en quelques
phrases ce qui méritait d'être conservé et
transmis. Je crois que c'est une façon de
remercier la Nature pour ces leçons qu'elle s'est
déjà chargée d'inscrire dans nos gènes pour
qu'elles ne se perdent pas et qu'elles
enrichissent le Patrimoine universel. Nous faisons
partie de la conscience collective de la planète
dont la qualité s'élève malgré tous les
soubresauts dont nous sommes témoins.
Margaret
Wheatley, une de mes auteures préférées, a
écrit : "Tout l'univers, de l'infiniment
petit jusqu'à l'infiniment grand, n'est qu'un
tissu de relations".
Miville
Couture, avril 2016
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